La métropole de Montpellier a confié au cabinet IRH Ingénieur Conseil la réalisation d’un audit sur le fonctionnement de sa régie des eaux. Cet audit, qui portait sur les 19 premiers mois de fonctionnement de la régie, a été présenté le 31 mai 2018 devant le Conseil métropolitain, puis le 25 juin 2018 devant le Conseil d’administration de la régie, et enfin le 2 juillet 2018 devant la Commission eau et assainissement de la métropole.
Le débat qui a suivi la présentation de l’audit IRH devant le Conseil métropolitain a été particulièrement houleux. Le maire de Grabels, ex-président du Conseil d’administration de la régie, faisait remarquer que le rapport d’audit contenait une page copiée-collée provenant d’un rapport sur la gestion de l’eau d’une collectivité de la région parisienne, et que la note de synthèse sur laquelle devait voter le Conseil métropolitain était loin de correspondre au contenu du rapport. Finalement, le président de la métropole de Montpellier annulait purement et simplement la délibération.
Une analyse très critique du rapport d’audit réalisée par Thierry Ruf, représentant la commune de Jacou et ex vice-président de la régie, a été lue lors du débat qui a suivi la présentation de l’audit IRH devant la Commission eau et assainissement.
Etonnamment, la présentation de l’audit IRH n’était pas à l’ordre du jour de la réunion du Conseil d’administration de la régie que ses membres reçoivent une semaine avant avec les documents utiles aux différentes délibérations. La présentation et le débat qui s’en est suivi ont occupé la 1ère partie de la réunion, par ailleurs fort chargée. Alors que les représentantes de 2 des associations, membres du Conseil d’administration, soulignaient la mauvaise qualité de la présentation orale par l’auditeur IRH et le manque de lisibilité du diaporama, le représentant de Eau Secours 34 soulevait plusieurs points du rapport qu’il considère comme très contestables. C’est l’exposé de ces différents points et les réponses apportées par IRH et la Direction eau et assainissement de la métropole qui font l’objet de ces commentaires.
Un audit pourquoi et comment ?
L’audit a été présenté sous la forme d’un diaporama powerpoint constitué de 3 volets : organisation et qualité ; salariat et social ; gouvernance. Il synthétise les données sur les 19 mois de fonctionnement de la régie qui lui ont été communiquées par celle-ci et propose des pistes d’amélioration.
Pourquoi la métropole par l’intermédiaire de sa Direction de l’eau et de l’assainissement a-t-elle demandé un audit externe sur les 19 premiers mois de fonctionnement de la régie ? La Direction de l’eau et de l’assainissement qui dispose de l’ensemble des données de fonctionnement de la régie n’est pas sans savoir que les données portant sur les 19 premiers mois d’existence d’une régie ne permettent ni de tirer des conclusions fiables sur son fonctionnement présent, ni de proposer des pistes d’amélioration pertinentes pour le futur : les données de la première année notamment le budget reflètent les opérations de mise en place de la régie (embauche du personnel, installation dans les nouveaux locaux, rachat de biens de reprise…) et pas son fonctionnement normal ; les données des 6 mois suivants sont partielles et doivent être consolidées en fin d’année.
La méthode retenue pour la réalisation de l’audit a été pour le moins surprenante. Les principaux acteurs concernés par l’audit, à savoir les membres du Conseil d’administration et le personnel de la régie, n’ont pas été interviewés par IRH. Le représentant de Eau Secours 34 faisant remarquer que dans ce type d’audit les acteurs étaient toujours interviewés et consultés, IRH lui a répondu que l’audit était une image à un instant t du fonctionnement de la régie et que l’interview des acteurs aurait pu porter atteinte à l’objectivité de l’image. Or, c’est justement l’inverse. De plus, interroger les membres du Conseil d’administration et le personnel de la régie aurait permis d’éviter un certain nombre d’approximations, d’affirmations erronées et de pistes d’amélioration pour le moins farfelues, que ce texte va décrire ci-dessous.
Plusieurs élus membres du Conseil d’administration ont demandé à disposer du rapport d’audit pour réfléchir aux différentes pistes d’amélioration proposés. La directrice de l’eau et de l’assainissement qui représentait la métropole dans cette réunion du Conseil d’administration a tout simplement refusé. A quoi sert donc réellement cet audit dont le rapport n’est fourni ni aux conseillers métropolitains ni aux membres du Conseil d’administration de la régie ?
La gestion des usagers et la facturation
La reprise intégrale de la gestion des usagers et de la facturation par une régie publique nouvellement créée est complexe et chronophage. Cette reprise intégrale n’ayant pas pu être réalisée au démarrage de la régie des eaux de Montpellier Méditerranée Métropole le 1er janvier 2016, celle-ci a du sous-traiter à l’ancien délégataire Veolia l’essentiel de ces 2 fonctions, sous la forme d’un marché public de 2 ans renouvelable 2 fois un an si nécessaire.
Parallèlement à ce marché public de 4 ans maximum, la régie :
- se dotait d’une équipe « Relations usagers » de 6 personnes effectuant des tâches de la gestion des usagers non prises en charge par le prestataire de services Veolia,
- mettait en place un guichet unique avec la métropole,
- demandait au bureau d’études Syneor de réfléchir à la future architecture de la gestion des usagers et de la facturation
Eau Secours 34 a toujours soutenu l’idée qu’il fallait que la régie arrête de sous-traiter à Veolia sa gestion des usagers et de sa facturation dès que possible, et cela pour plusieurs raisons : le coût en est trop élevé ; la prestation de services est de qualité médiocre ; l’absence d’intégration des logiciels de Veolia avec ceux de la régie complique inutilement le fonctionnement de la régie, notamment le recouvrement des factures. De plus, Eau Secours 34 considère que la gestion des usagers et la facturation sont des fonctions essentielles de toute régie et ne doivent pas dépendre d’une entreprise privée, encore moins lorsque celle-ci est l’ancien délégataire.
Aussi, c’est sans surprise que le représentant de Eau Secours 34 dans le Conseil d’administration de la régie a pris connaissance de l’étude de Syneor, présentée le 25 septembre 2017 en séance du Conseil d’administration. Cette étude préconisait l’internalisation totale de la facturation et l’internalisation quasi-totale de la gestion des usagers. S’appuyant sur l’exemple d’autres régies, l’étude démontrait que l’internalisation permet à la régie de faire très rapidement des économies substantielles. Syneor proposait que seule l’éditique soit sous-traitée à une entreprise spécialisée et que le personnel du centre d’appels soit constitué en partie de prestataires provenant d’une entreprise spécialisée, en écartant les entreprises du domaine de l’eau. Le Conseil d’administration votait à l’unanimité le principe de l’internalisation telle que préconisée par Syneor et chargeait la direction des finances de la régie du projet d’internalisation.
Dès son entrée en fonction, la nouvelle présidente du Conseil d’administration de la régie, décidait d’arrêter le projet d’internalisation, à la demande semble-t-il de la Direction de l’eau et de l’assainissement, et ce sans en informer le Conseil d’administration. C’est lors d’une question posée par le représentant de Eau Secours 34 que le Conseil d’administration prenait connaissance de cette décision. Et le directeur de la régie précisait que la régie s’orienterait probablement vers un nouveau contrat de même type à l’expiration du contrat en cours.
De tout cela, il en a été fort peu question dans le rapport et lors de la présentation IRH. Le rapport ne propose aucune piste d’amélioration de la gestion des usagers et de la facturation, laissant supposer que l’organisation actuelle est globalement satisfaisante et ne doit pas être remise en cause. La présentation a été particulièrement confuse. L’auditeur IRH insistait sur l’intérêt selon lui de mutualiser ces 2 fonctions à l’échelle de la métropole. Or, autant la mutualisation du centre d’appels et du guichet unique pour l’ensemble des services locaux de la métropole a du sens, autant la mutualisation de la facturation de ces services est un non-sens et n’est pratiquée nulle part en France.
Le recouvrement des factures
L’encaissement des factures et l’envoi de lettres de relance en cas de retard de paiement sont effectués par Veolia à qui est sous-traitée la facturation. Mais c’est l’agent comptable public de la régie qui se charge de recouvrer les factures impayées après avoir déclenché des procédures contentieuses. Le taux de factures impayés est de 3,3 % pour l’année 2017. Ce chiffre n’est pas définitif et doit être revu à la baisse puisque des procédures contentieuses se poursuivent en 2018 et ne seront interrompues qu’au bout de 4 ans. De plus, l’abandon de créances sera probablement extrêmement marginal comme en 2016 (0,1%).
Dans le débat faisant suite à la présentation, IRH a déclaré que le taux de factures impayées était trop élevé et que confier la tâche du recouvrement à l’agent comptable public de la régie n’était pas forcément la meilleure idée, démontrant par là même une méconnaissance du contexte local et un a priori idéologique. Le taux de factures impayées reflète d’abord le contexte local, bien avant l’efficacité des procédures de recouvrement mises en œuvre.
La métropole de Montpellier se caractérise par une tendance à la hausse des inégalités sociales qui sont déjà supérieures à la moyenne nationale, un fort turn over dans les logements notamment des étudiants, et chaque année un nombre très élevé de faillites de petites et moyennes entreprises ; toutes choses qui contribuent à la plupart des retards de paiement de factures et donc à beaucoup de procédures contentieuses. Malgré cela, le taux de factures impayées est inférieur à celui d’intercommunalités dont le contexte local est similaire.
En mettant en avant les difficultés rencontrées par l’agent comptable public de la régie à recouvrer certaines factures, IRH suggère implicitement qu’un prestataire privé serait plus efficace. Et le prestataire privé auquel pense IRH, c’est Veolia à qui sont sous-traités actuellement à la fois la gestion des usagers et la facturation de la régie. Or, c’est Veolia qui est précisément responsable des difficultés rencontrées par l’agent comptable. En effet, il manque des informations essentielles concernant certains usagers dans le fichier des usagers que Veolia a remis en tant que bien de retour, dans le cadre du protocole de fin de contrat signé avec la Direction de l’eau et l’assainissement et l’ex-président de la régie. Ne disposant pas de ces informations, l’agent comptable ne peut pas retrouver certaines personnes qui ont quitté la métropole sans payer leurs dernières factures d’eau, et entamer une procédure contentieuse à leur égard. La mise à jour du fichier usagers, entreprise par le service comptable de la régie, permettra à terme de régler ces problèmes et donc d’améliorer le taux de recouvrement des factures.
Le représentant du personnel a également soulevé le problème du non-paiement par certaines communes de factures pour des travaux effectués par la régie sur leur périmètre. Ce « cadeau » est contraire au principe de l’eau paie l’eau. Les élus du Conseil d’administration, pourtant prompts à s’inquiéter du manque à gagner dû aux factures impayées, la directrice de l’eau et de l’assainissement, et le directeur de la régie ont été bien silencieux face à ce problème.
Enfin, IRH a proposé que soit assuré un suivi du taux de factures impayées. Mais ce suivi existe déjà puisque l’agent comptable et le directeur de la régie informent régulièrement le Conseil d’administration sur l’évolution du taux de factures impayées.
La commande publique et la commission d’appel d’offres
L’attribution d’un marché de fournitures et services ou d’un marché de travaux peut se faire par une des procédures suivantes : une procédure notifiée par le directeur de la régie sans publicité ni mise en concurrence préalables ; une procédure adaptée dont les modalités de publicité et de mise en concurrence préalables sont déterminées par le directeur de la régie ; une procédure d’appel d’offres formalisée. Dans les procédures notifiées et adaptées, le directeur de la régie a une délégation de pouvoir pour attribuer un marché sans en demander l’autorisation au Conseil d’administration qu’il informe une fois le marché attribué. Dans les procédures d’appel d’offres formalisées, le directeur de la régie demande au Conseil d’administration l’autorisation de lancer un appel d’offres puis se charge de la publicité et de la mise en concurrence; enfin la commission d’appel d’offres choisit le prestataire en fonction d’un rapport fourni par le directeur de la régie. La commission d’appel d’offres est présidée par le directeur de la régie et composée de 5 membres du Conseil d’administration avec voix délibérative, auxquels se joignent le comptable public de la régie et le représentant du Ministre en charge de la concurrence avec voix consultative.
Les normes européennes transposées dans la législation française interdisent d’avoir recours à une procédure notifiée ou à une procédure adaptée lorsque le montant du marché dépasse un certain seuil. Ce seuil était en 2017 de 5 186 000 euros pour les procédures adaptées.
Jusqu’en mai 2017, le seuil fixé par la régie était de 418 000 euros pour les marchés de fournitures et services, et de 500 000 euros pour les marchés de travaux. Au delà de ces montants, la régie devait donc lancer une procédure d’appel d’offres formalisée pour l’attribution du marché. Ce seuil bien adapté au fonctionnement de la régie permettait au directeur de la régie d’attribuer rapidement les petits marchés ne nécessitant pas la lourdeur d’un appel d’offres et le contrôle du Conseil d’administration.
Le 24 avril 2017, le Conseil d’administration votait, à l’unanimité moins la voix du représentant de Eau Secours 34, un nouveau seuil de 2,5 millions d’euros pour les marchés de travaux, « afin de respecter la planification de réalisation des investissements, […] en particulier dans le cadre des opérations confiées en maîtrise d’ouvrage déléguée à la métropole ». Le représentant de Eau Secours 34 faisait alors remarquer que, de par cette décision, le Conseil d’administration n’aurait plus son mot à dire sur l’attribution de la plupart des marchés de travaux, ce qui était contraire à l’esprit d’une régie à autonomie financière et personnalité morale. Le rapport de l’audit IRH va dans le même sens en préconisant de « redonner du pouvoir décisionnaire au Conseil d’administration en réduisant les délégations accordées au directeur de la régie en matière de marchés publics ». Il est intéressant de noter que les élus membres du Conseil d’administration, qui avaient voté le 24 avril 2017 pour davantage de délégations au directeur de la régie, ont approuvé sans réserve l’auditeur IRH qui préconisait l’inverse environ un an après. Les élus votent-ils pour ce qui leur semble le mieux pour la régie et les usagers de l’eau ou en fonction d’accords politiques sans rapport direct ?
En conclusion
Le président de la métropole de Montpellier avait fait 2 choix forts en terme de gouvernance contre l’avis de la Direction de l’eau et de l’assainissement : une régie à autonomie financière et personnalité morale pour gérer les services eau potable et eau brute, avec la présence d’une personne qualifiée, du représentant du personnel, de plusieurs représentants d’associations dans son Conseil d’administration ; un observatoire de l’eau, instance de concertation sur la politique de l’eau de la métropole, ouverte à l’ensemble des acteurs concernés y compris les usagers de l’eau. La gouvernance de l’eau à Montpellier était dès lors considérée comme exemplaire partout en France et en Europe. Force est de constater qu’il ne reste plus grand-chose de cette exemplarité aujourd’hui après plusieurs mois de détricotage : la régie est progressivement dépouillée de sa personnalité morale ; le président et le bureau de l’observatoire de l’eau ont démissionné constatant que la métropole ne donnait pas à l’observatoire les moyens de fonctionner correctement.
L’audit IRH est un mauvais coup porté à la régie et s’inscrit dans le détricotage décrit ci-dessous. Le président de la métropole de Montpellier utilise cet audit pour justifier l’éviction du précédent président du Conseil d’administration de la régie ainsi que de plusieurs de ses membres, et se projette dès maintenant dans la campagne électorale des municipales. La Direction de l’eau et de l’assainissement utilise cet audit pour bloquer tous les projets de la régie considérés comme relevant de sa personnalité morale.
L’audit et son utilisation mais aussi plusieurs décisions et déclarations récentes de la métropole interpellent quant au devenir de la régie des eaux, tout au moins dans sa forme actuelle. Par exemple, la métropole par sa Direction de l’eau et de l’assainissement a choisi de desservir en eau brute plusieurs communes en passant directement un contrat avec BRL ; elle voudrait supprimer le service eau brute de la régie qu’elle ne s’y prendrait pas autrement. De même, l’intégration dans la régie de communes, actuellement desservies par le Syndicat Garrigues Campagne ou le Syndicat Bas Languedoc et qui en feraient la demande après expiration de leurs contrats de DSP, n’est plus d’actualité.
La bataille pour une gestion de l’eau et de l’assainissement sur le territoire de métropole, qui soit à la fois démocratique, écologique et sociale, est loin d’être terminée. Les quelques acquis allant dans ce sens peuvent être remis en question à tout moment. Comme déjà dans le passé, Eau Secours 34 interpellera l’ensemble des candidats aux prochaines élections municipales en leur demandant de prendre clairement position sur la gestion de l’eau et l’assainissement qu’ils souhaitent dans la métropole pour leurs concitoyen(ne)s.