Transfert des sédiments du Rhône et recul du trait de côte

Contribution écrite de Eau Secours 34 à la concertation préalable pour la prolongation de la concession Rhône à la CNR

Les barrages, écluses et autres ouvrages que la Compagnie Nationale du Rhône a construit sur le Rhône ont non seulement profondément modifié l’hydromorphologie du fleuve mais aussi très fortement réduit le transfert sédimentaire à la mer. Ce transfert ne représente plus que quelques % du transfert « naturel » d’avant les travaux d’aménagement de la CNR. Ce déficit d’apport sédimentaire est la cause principale du recul du trait de côte qui affecte le littoral méditerranéen depuis la Camargue jusqu’aux Pyrénées-Orientales. Par endroit, la côte sableuse recule de 3 à 4 mètres par an; l’érosion de la côte camarguaise ne permet plus aux zones humides de jouer pleinement leur rôle tampon ce qui entraîne une salinisation progressive des ressources en eau. Si rien n’est fait, la diminution du débit du Rhône et la montée du niveau de la mer résultant du changement climatique vont encore aggraver la situation.

Le dossier de la concertation préalable vante le bilan de la CNR en tant qu’aménageur du Rhône, mais se garde bien de parler des impacts négatifs de ces aménagements sur le littoral méditerranéen, impacts à la fois sociaux, économiques et environnementaux. Dans le projet de prolongation de la concession Rhône, il est fort peu question du transfert sédimentaire; rien n’est proposé pour l’augmenter, par exemple en effectuant des travaux de rénovation des barrages. Bien au contraire, la CNR prévoit la construction d’un nouveau barrage. Or, des travaux de rénovation bien menés sur les barrages existants permettraient d’augmenter significativement le transfert sédimentaire tout en maintenant voire augmentant la production électrique. C’est un véritable scandale que les coûts du recul stratégique – qui sera d’autant plus important si rien n’est fait – soient supportés dans le futur par les habitants, les agriculteurs et les entreprises des communes littorales et non pas par la CNR. A quand un principe équivalent à celui du « pollueur payeur » ?

Réponse du Ministère de la transition écologique et solidaire

La question du transfert des sédiments et du recul du trait de côte a fait l’objet de différentes études. De celles-ci, il en résulte que depuis 150 ans l’endiguement du petit Rhône et du grand Rhône et la fixation artificielle de l’embouchure ont modifié l’alimentation du delta et de son littoral (voir détail dans Le Rhône en 100 questions question 5 chapitre 2 «Pourquoi la côte de la Camargue recule-t-elle ? »).

Depuis 100 ans, il y a un tarissement des apports sédimentaires à la mer (divisé par 5). Ce tarissement est principalement lié (voir détail dans Le Rhône aval en 21 questions questions n° 4 et 12) :

  • au reboisement des versants des affluents: travaux du service départemental de la Restauration des Terrains en Montagne (RTM) lancé au XIXème siècle,
  • à la présence des grands barrages réservoirs alpins,
  • aux extractions historiques en rivières de sédiments qui forment des fosses favorisant la décantation, cette extraction en lit mineur est interdite depuis 1994,
  • aux épis Girardon construits fin du XIXème siècle, début XXème siècle qui favorisent le développement des marges alluviales.

Par ailleurs, dans le cadre de l’entretien des ouvrages et du chenal de navigation, CNR a l’obligation de respecter les dispositions du SDAGE en particulier de la disposition 6A13 et l’arrêté du 30 mai 2008 relatif aux opérations de dragage. Dans ce cadre lorsque CNR réalise des dragages la réinjection dans le cours d’eau est privilégiée.

Enfin en cohérence avec la disposition 6A7 du SDAGE « mettre en œuvre une politique de gestion des sédiments », un schéma directeur de gestion sédimentaire sur le Rhône est en cours d’élaboration, la partie État des lieux devrait se terminer en fin d’année et le rendu de l’étude est prévu à la mi-2020.

Dans le cadre du projet de prolongation, CNR aura à mettre en œuvre les conclusions du schéma directeur de gestion sédimentaire dans le cadre du volet environnement du schéma directeur de la concession.

Opacité du modèle économique actuel et futur de la concession CNR

Contribution écrite de Eau Secours 34 à la concertation préalable pour la prolongation de la concession Rhône à la CNR

Le ministère de l’environnement et les collectivités locales se félicitent du caractère redistributif vertueux de la concession CNR. Mais qu’en est-il vraiment ? Pour un chiffre d’affaires annuel d’environ 800 millions d’euros provenant essentiellement de la vente d’électricité, quelles parts sont affectées aux charges d’exploitation, aux dividendes distribués aux actionnaires, à l’impôt sur les bénéfices ? Le financement des projets de mission d’intérêt général est-il compris dans les investissements que doit réaliser chaque année la CNR ? Ces missions d’intérêt général le sont-elles vraiment ou sont-elles juste une forme de clientélisme ? VNF reversera-t-elle à la CNR une part de la redevance qu’elle perçoit des usagers de l’eau puisque la CNR va exercer la compétence transport fluvial à sa place ? Il n’y a aucune information dans le dossier de concertation.

Cette opacité des flux financiers de la concession ne sert-elle pas à masquer le fait que l’État, Engie, les collectivités locales se paient sur la bête que sont les usagers de l’électricité et de l’eau et l’écosystème Rhône ? Le rôle de l’État en tant qu’autorité concédante est particulièrement ambiguë : il perçoit à la fois une redevance d’environ 24 % sur le chiffre d’affaires, l’impôt sur les bénéfices et indirectement les dividendes versées à la CDC. Comment l’État peut-il contrôler son concessionnaire la CNR en fonction de l’intérêt général alors qu’il est en plein conflit d’intérêt institutionnalisé ?

Réponse du Ministère de la transition écologique et solidaire

Comme cela a pu être évoqué lors de différentes réunions publiques, le chiffre d’affaires de la concession du Rhône peut connaitre de fortes variabilités en raison de l’hydraulicité du fleuve et des prix de vente de l’électricité. Ainsi, le chiffre d’affaire 2018 est bien inférieur à celui de 800 M€ évoqué dans la contribution. Sur la base des chiffres 2018 qui viennent d’être approuvés par l’Assemblée Générale des actionnaires de CNR :

  • le chiffre d’affaires net de CNR ressort à 597 M€ dont 530 M€ provenant directement de la vente d’électricité,
  • CNR s’est acquittée d’une redevance de 116 M€, et les autres charges d’exploitation, hors amortissements et provisions, s’élèvent à 325 M€,
  • le montant de l’impôt société dû par CNR au titre de l’année 2018 est de 26 M€,
  • le résultat net ressort à 56 M€ ; les actionnaires ont décidé de verser un dividende de 36 M€.

En outre les réponses aux dernières contributions apportent également des éléments financiers complémentaires sur la redevance ou l’historique des dividendes et des retombées fiscales locales.

Les missions d’intérêt général sont financées par CNR et sont intégrées dans ses investissements ou ses charges d’exploitation selon la nature comptable des opérations réalisées. Les actions financées via les plans de missions d’intérêt général sont encadrées par les objectifs du schéma directeur annexé au cahier des charges général de la concession. Les plans font l’objet d’un suivi annuel en Conseil de Surveillance de CNR dans lequel siègent notamment deux représentants de l’État, un commissaire du gouvernement et un contrôleur d’État aux côtés des autres représentants des actionnaires (Engie, CDC et collectivités territoriales).

Dans le cadre du projet de prolongation, le montant des plans quinquennaux a été fixé à 160 M€. Le cadre de ces plans sera défini à travers le schéma directeur actualisé. Il est également prévu dans le projet de prolongation un renforcement du contrôle de l’Etat sur l’élaboration des plans quinquennaux avec notamment la possibilité pour l’État de s’opposer au contenu des plans. Les réunions publiques relatives à la concertation ont été l’occasion de soulever le besoin de clarifier la gouvernance dans l’élaboration des plans quinquennaux.

L’autorité concédante contrôle le respect par le concessionnaire du cahier des charges et du schéma directeur. Plus largement les services de l’Etat à travers les différentes polices spécialisées contrôlent le respect par le concessionnaire des différentes réglementations. L’indépendance des services qui exercent ce contrôle ne saurait être remise en question par la perception par l’Etat d’une redevance, cette redevance étant versée au budget général de l’Etat. Le principe d’universalité budgétaire qui régit les finances publiques conduit à n’établir aucun lien entre cette contribution au budget général de l’Etat et les dotations budgétaires des ministères dont dépendent les services de contrôle.

La redevance sur les prises et rejet d’eau du Rhône est perçue de par la loi (code des transports) au bénéfice de VNF, établissement public de l’État. La prolongation de la concession ne changerait pas cette situation.

Le devenir du projet Aqua Domitia

A ce jour, ni l’UE, ni l’Etat, ni l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée ne participent au financement de la construction des maillons contrairement au souhait émis par le Conseil Régional.

Le 25 avril 2012, le président du Conseil Régional annonçait avoir obtenu le feu vert de la commission européenne à l’utilisation de 6 millions d’euros de fonds Feader pour des réseaux d’irrigation de la vigne à partir des maillons.

Ce montant est à comparer au coût estimé à 120 millions d’euros pour le déploiement des tuyaux et des bornes d’irrigation à partir des différents maillons et aux 32,4 millions d’euros versés en 2012 dans le cadre de la PAC pour assurer la reconversion des vignobles du LR, dont la qualité est jugée insuffisante (en clair les subventions à l’arrachage des vignes).

Depuis, la grande machine clientéliste du Conseil Régional est en marche à travers des réunions avec les viticulteurs susceptibles de bénéficier des aides européennes.

Le site web du réseau hydraulique régional décrit l‘état d’avancement des travaux d’Aqua Domitia.

Le Conseil scientifique du Comité de bassin Rhône-Méditerranée a émis en juin 2014 un avis très critique sur la récupération des coûts du projet Aqua Domitia

Le débat public Aqua Domitia

Le débat public organisé par la Commission Particulière du Débat Public comme le veut la loi s’est déroulé du 15 septembre au 29 décembre 2011. Il s’est caractérisé par une faible participation du public, un désintérêt des médias et un accaparement de la parole par les élus favorables au projet.

En plein débat public, Claude Allet, le directeur général de BRL, a démissionné pour raisons de “divergences stratégiques et institutionnelles avec les élus régionaux”.

Eau Secours 34 a participé au débat public et a publié un cahier d’acteur indiquant les raisons de son opposition au projet:

Aqua Domitia ne s’attaque pas à la crise de l’eau en Languedoc-Roussillon et contribue à l’aggraver

La Commission Particulière du Débat Public a rendu publics son compte-rendu et son bilan le 8 février 2012.

Le Conseil Régional et BRL ont fait part de leur décision de poursuivre le projet le 19 avril 2012. Les conditions de poursuite du projet ne tiennent absolument pas compte des remarques et critiques qui ont été émises durant le débat public, comme si celui-ci n’avait pas eu lieu.